Je suis membre de deux
conseils d’administration (de façon bénévole). Depuis deux jours, j’ai épluché,
pour l’un d’eux, je ne sais plus combien de CV dans le but de remplacer une
coordonnatrice. Loin de moi l’idée de vous faire un résumé de tout ce que j’ai
lu, mais je peux vous dire que jamais je n’aurais cru que l’exercice puisse
être aussi «divertissant» ni qu’il puisse receler autant de surprises. Pourquoi
je vous en glisse un mot? Parce que ces lectures m’ont aussi rappelé que la
notion de métier n’est pas la même pour tous. Et c’est de là que me vient le
titre de ce billet.
Retour en arrière, pour mieux comprendre. Dès
la naissance de ma fille, à la fin du siècle dernier (avouez que ça fait
bizarre de dire ça!!!! ), c’était clair que j’allais rester à la maison
avec mes enfants jusqu’à ce qu’ils entrent à l’école. Jusque là,
j’acceptais très bien le fait que je n’avais pas, aux yeux de la société, ce
qu’on appelle une vraie job; j’étais une femme au foyer. Je n’avais pas de
problème avec ça, c’était mon choix, bien que ça ne fasse pas l’affaire de tout
le monde. La vie a voulu que j’aie ensuite eu un 2e enfant avec
des ennuis de santé importants, reléguant aux oubliettes ma volonté d’intégrer
le marché du travail dans un avenir plus ou moins rapproché. Qu’à cela ne
tienne, j’ai décidé de reprendre la rédaction d’un roman commencé un peu avant
la venue de ma fille. Je me disais que c’était l’arrangement parfait. En
travaillant à la maison, je pourrais ajuster mes horaires d’écriture en
fonction des nombreux rendez-vous chez la panoplie de spécialistes qui
s'occupaient de mon fils et, si j’étais publiée, j’aurais une source de
revenus – probablement maigre, j’en conviens, mais un revenu quand même.
Quand Filles
de Lune s’est retrouvé sur les tablettes pour la première fois, en 2008, je ne
savais pas trop à quoi m’attendre. J’étais consciente qu’une publication, aussi
extraordinaire soit-elle comme réalisation, ne voulait pas dire que je
gagnerais un jour ma vie en tant que romancière. Loin de là. Mais ça ne
m’empêchait pas de l’espérer, de même que tout le monde autour de moi. J’aimais
ce que je faisais et je n’avais pas vraiment envie de tenter ma chance dans un
autre domaine, même connexe.
Pendant
les trois premières années, à travers les félicitations pour ma présence en
librairie, les questions sur le prochain bouquin et toutes celles se rapportant
à l’écriture en tant que telle, une interrogation s’est démarquée davantage,
avant tout parce qu’elle m’a étonnée. Ça ressemblait à ceci : «Penses-tu
retourner travailler POUR DE VRAI un jour?» La première fois qu’on m’a balancé
ça, j’avoue que j’ai écarquillé les yeux, l’air de dire «Pouvez répéter la
question?» parce que je n’étais vraiment pas certaine d’avoir envie de
comprendre ce qu’elle sous-entendait. J’ai d’ailleurs préféré m’abstenir de
répondre. Puis, comme la question est revenue à intervalle régulier, j’ai fini
par demander aux gens de préciser leur pensée. Honnêtement, en entendant les
réponses, je me suis dit que j’aurais mieux fait de rester dans l’ignorance.
Voici un échantillon :
–Écrire,
c’est pas un travail, c’est un loisir (ou un passe-temps).
–J’ai
toujours pensé qu’écrire, c’était pour les gens à la retraite.
–Quand
on n’a pas besoin de sortir de chez soi, pis qu’on n’est pas obligé d’écrire si
on n’en a pas envie, c’est pas vraiment une job, non?
–Raconter
des histoires, c’est pas un travail! Tout le monde peut faire ça!
–Je
pensais que c’était un à-côté en attendant que ton fils aille mieux.
(Comprendre : tant que t’as une bonne raison de ne pas aller travailler à
l’extérieur, c’est correct. Mais après, faudra bien que tu fasses comme tout le
monde.)
–C’est
un métier ça, écrivaine? Y’en a qui font ça pour gagner leur vie?
–Tous
ceux que je connais qui écrivent ont aussi une vraie job…
–Tu
tripes sur ce que tu fais… C’est pas une vrai job, ça! Une vraie job, on n’aime
pas ça…
Je
fais partie de ceux pour qui l’écriture est vite devenue un gagne-pain
appréciable. Je me suis alors dit, dans ma grande naïveté, que le fait que je
vende assez de livres pour vivre de l’écriture donnerait du poids à ma
prétention d’être romancière à temps plein. Et que je pourrais l’écrire tel
quel dans la p’tite case prévue à cet effet dans différents formulaires de la
paperasserie quotidienne sans passer pour une extraterrestre. Après tout, si je
suis payée pour écrire, ça devient une vraie job, non? Eh bien, non!
Étonnamment, les gens ont simplement transformé leur question récurrente en
diverses remarques plus ou moins étranges, du genre de : «Ouais, tu peux
en vivre, mais avoue que c’est quand même pas une vraie job écrire des histoires
pis parler avec du monde dans des Salons du livre…»
Décidément,
j’ai vraiment choisi un métier qui fait jaser… ;)
Mot
de la doyenne: Je suis d'avis qu'il y a beaucoup de jalousie dans les
commentaires qu'on sert à l'écrivain de métier. Parce que l'écrivain,
contrairement à beaucoup d'autres, aime sa job. Il tripe dans son monde, y
consacre tout son temps et toutes ses énergies et ne souffre pas le moins du
monde quand il doit se lever pour travailler. Et comme il n'y a jamais plus
jaloux que les gens avec qui on vit depuis longtemps, je dirais que ce sont
souvent nos proches qui nous servent ce genre de commentaires. Ils pensaient
qu'on allait mener le même genre de vie qu'eux. Quelle déception de voir qu'on
aime ce qu'on fait! Ce n'est pas la norme dans notre société. Et je dirais que
la situation s'aggrave quand arrive le succès. Mais on ne va pas arrêter
d'écrire pour se conformer, n'est-ce pas? Surtout que nos lecteurs se montrent
souvent beaucoup plus compréhensifs. Ils aiment nos livres et veulent qu'on en
écrive d'autres. Elle est là, notre paye!