mercredi 9 janvier 2013

L'art de l'entrevue


Tout écrivain qui se respecte s'assure de ne pas dire de niaiseries quand il écrit. Et le meilleur moyen d'y arriver, selon moi, c'est de faire de la recherche. Quand j'écrivais du roman historique, je passais des mois à lire des essais, des journaux personnels de même que la correspondance de gens ayant vécu les événements dont je voulais parler. Depuis que j'écris du roman contemporain, je privilégie l'entrevue.

Avant de rédiger la première ligne de Yukonnaise, j'ai interrogé une cinquantaine de personnes vivant au Yukon. Je ne savais pas vraiment ce que je cherchais. À ceux qui me posaient la question, je répondais que je voulais trouver l'esprit yukonnais. Et quand un journaliste de Dawson m'a demandé ce qu'était l'esprit yukonnais, j'ai répondu que je ne le savais pas, mais que j'étais capable de le reconnaître quand je le voyais. Je voguais donc au gré du vent avec des réponses aussi floues que mes questions. Ce n'était pas grave; le roman n'était pas encore écrit, et j'avais toutes les possibilités devant moi.

En novembre, j'ai commencé un nouveau roman avec, comme personnage principal, une femme qui possède un supermarché. J'ai beau faire mon épicerie toute seule depuis l'âge de 17 ans, je me suis rendu compte à la page cinquante qu'il me fallait de l'information supplémentaire. Pour cette raison, j'ai pris rendez-vous avec le propriétaire d'un supermarché de mon quartier, le magasin Alimentation Stéphane Tremblay, qui opère sous la bannière Provigo, sur King Est, entre la 11e et la 12e Avenue.

D'entrée de jeu, j'ai servi à M. Tremblay le même avertissement que j'avais servi aux Yukonnais : Me parler, c'est comme parler à la police. Tout ce que vous me direz pourrait se retrouver dans le roman. Donc, si vous ne voulez pas que je diffuse une information, prière de la garder pour vous. J'ai tout de suite compris qu'il y avait un monde entre interviewer un Yukonnais et interviewer un homme d'affaires.

Première différence : M. Tremblay était pile à l'heure. (Mes amis du Grand-Nord possèdent un sens du temps qui diffère de celui des gens du Sud, je l'ai appris à mes dépens). Avec M. Tremblay, donc, pas de Yukon Time. Le rendez-vous est à 14 heures, on commence à 14 heures. Et même si j'ai horreur de porter une montre, je l'enfile chaque fois que je fais une entrevue, histoire de ne pas abuser du temps qu'on m'accorde si généreusement. Avec M. Tremblay, j'avais ma montre et je peux vous jurer qu'à 15 heures, je retraversais le parc en direction de chez moi.

Deuxième différence : Si les Yukonnais ne savent pas trop ce qui les distingue du reste du monde, mon épicier, lui, sait très bien ce qu'il est : un marchand-propriétaire. Je lui ai donc demandé ce qu'un marchand-propriétaire mangeait en hiver, et pendant toute l'heure qui a suivi, il a donné des réponses précises à mes questions floues. Et sans qu'il s'en rende compte, j'ai eu droit à beaucoup plus. Voyez-vous, comme dans toute entrevue, ce qui s'avère le plus important arrive souvent par accident. Le non-verbal, une digression, un commentaire qui, sur le coup, a l'air de ne rimer à rien. 

Je suis repartie avec une foule d'informations... qui me permettront de réécrire les cinquante premières pages de mon nouveau roman. Parce que, évidemment, j'étais dans le champ avec mon personnage. Et pour arriver à convaincre M. Tremblay que ledit personnage va prendre un mois de congé pour aller en voyage, il va falloir que je trime fort. Il paraît que dans ce milieu-là, les vacances sont rares et rarement longues. Regardez-moi bien aller, M. Tremblay, je vais vous broder quelque chose de convaincant. Promis, juré.

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