mardi 30 avril 2013

Pour ou contre la cession des droits dérivés

Avertissement : Une partie de ce que je m'apprête à écrire ne va pas tout à fait dans le sens des conseils donnés par l'Uneq. Il faudra donc me lire en utilisant votre jugement, prendre ce qui vous convient et laisser le reste.

Tout d'abord, qu'est-ce qu'un droit dérivé?

Les revenus qui sont payés à un auteur par son éditeur proviennent de trois sources. En premier lieu, il y a les redevances sur le livre papier, qui représentent habituellement 10 % du prix de vente suggéré. Par exemple, pour un livre qui se vend 20 $, l'auteur recevra 2 $ par livre vendu. S'il en vend 1000 en un an, il devrait recevoir 2000 $. Toutefois, pour la première année de parution d'un livre, l'éditeur retient souvent 10 % afin de couvrir les retours, c'est-à-dire, les livres qui sont retournés par les libraires pendant l'année suivante. Au moment du paiement, un bon éditeur remet à l'auteur un relevé détaillant les ventes, le total dû, la retenue et le total payé à ce jour (ça, c'est le montant du chèque.) L'année suivante, l'éditeur envoie un nouveau relevé qui tient compte des nouvelles ventes. Il émet un nouveau chèque, lequel inclut normalement la retenue prélevée l'année précédente. (Note : Certains éditeurs produisent des relevés bisannuels. Ils appliquent les mêmes règles de calcul, mais paient leurs auteurs deux fois par année. Bénis soient-ils!)

La deuxième source de revenus provenant de l'éditeur est toute nouvelle. Il s'agit des redevances sur le livre numérique. Ici, le pourcentage varie d'un éditeur à l'autre, mais l'ANEL (Association nationale des éditeurs de livres) et l'Uneq s'entendent pour dire que le livre numérique doit rapporter à l'auteur le même montant en argent que le livre papier. Par exemple, si l'auteur fait 2 $ sur un livre papier à 20 $ (10 %), il devrait faire 2 $ sur le même livre en numérique à 10 $. Il devrait donc, dans ce cas, recevoir 20 % du prix de vente suggéré pour le livre numérique. Ces redevances sont également inscrites sur le relevé annuel émis par l'éditeur.

La troisième source de revenus constitue l'objet de ce billet : les droits dérivés. On appelle « droits dérivés » tout montant d'argent perçu par l'éditeur qui a vendu à une tierce partie l'autorisation d'utiliser un livre publié par la maison d'édition dans un but précis. La vente du livre à un club de livres, par exemple (Comme Québec Loisirs). La cession de droits pour une adaptation dramatique ou cinématographique (Quel auteur ne rêve pas de voir son livre devenir un film?). La vente de droits à une maison d'édition étrangère. La vente des droits de traduction. La vente d'extraits (pour un manuel pédagogique, par exemple). Et j'en passe. Ici, the sky is the limit! Le plus souvent, l'éditeur s'engage à verser à l'auteur 50 % des montants qu'il va percevoir en droits dérivés.

Lors de la signature d'un contrat entre un auteur et un éditeur, les deux parties doivent s'entendre, entre autres choses, sur les trois points ci-haut mentionnés. Le montant des redevances pour le livre papier et pour le livre numérique est habituellement facile à négocier. (Je dis habituellement, parce que la rumeur veut que des éditeurs imposent désormais à leurs nouveaux auteurs 8 % de redevances au lieu du 10 % traditionnel.) Là où ça bloque, c'est avec les droits dérivés. L'Uneq recommande à ses membres de ne pas céder lesdits droits à l'éditeur. L'éditeur, lui, insiste la plupart du temps pour avoir tous les droits sur le livre. Ces deux points de vue se défendent.

Du point de vue de l'auteur, la cession des droits dérivés crée des limites. Il ne peut plus lui-même faire affaire avec une maison d'édition étrangère. Il ne peut non plus autoriser l'adaptation cinématographique sans le consentement de l'éditeur. En fait, quand il cède ces droits, il accepte que l'éditeur fasse ce qu'il veut avec le livre. Y compris ne rien faire. C'est malheureusement ce qui se produit trop souvent. Un éditeur insiste pour avoir les droits d'un livre, mais ces droits ne sont jamais exploités. Ce qu'espère cet éditeur, c'est faire de l'argent sans effort advenant qu'un jour, un producteur ou un éditeur étranger tombe sur le livre. Harry Potter ne fait pas rêver que les auteurs!

Heureusement plusieurs petits éditeurs sont conscients de leur peu de moyens et ne prennent pas les droits dérivés. La clause mentionne qu'ils se contentent de prendre les droits pour la diffusion du livre en français au Canada.

Du point de vue de l'éditeur, l'appropriation des droits dérivés d'une oeuvre constitue un investissement. Il faut comprendre qu'un éditeur qui ne possède pas les droits dérivés d'un livre ne va pas travailler à la diffusion du livre de la même manière. Il ne va pas embaucher un agent pour le représenter dans les foires du livre hors Québec (comme à Toronto, à Paris ou à Frankfort, mettons). Il ne fera pas traduire un extrait dans le but de le vendre. Il ne fera pas jouer ses contacts, s'il en a, en vue d'une adaptation cinématographique. En fait, l'éditeur à qui on ne cède que les droits en français au Canada va faire ce qu'il a le droit de faire, c'est-à-dire diffuser le livre en français au Canada. Il ne se forcera pas pour le reste puisque ça ne lui rapportera pas une cenne.

C'est ici qu'il faut faire preuve de jugement quand on signe un contrat. On peut demander à l'éditeur qui insiste pour avoir les droits dérivés ce qu'il compte faire de ces droits une fois qu'il les aura. On peut lui demander quelles sont ses relations dans le milieu du cinéma et dans le milieu de l'édition en France et ailleurs. On peut aussi lui demander comment il entend exploiter le livre. S'il vous dit qu'il va le publier et le faire distribuer en librairie, il y a de bonnes chances qu'il ne sache pas quoi faire avec les autres droits. Vous pouvez aussi regarder combien de livres de cette maison d'édition ont été traduits, distribués en Europe, vendus à d'autres maisons d'édition pour être diffusés autrement (en format poche, par exemple).

Cela dit, quand on signe un contrat pour un premier livre, je suggère toujours d'exiger le moins possible et d'attendre pour voir. Parce que l'auteur d'un seul livre n'a pas de pouvoir de négociation. À trop insister pour conserver les droits dérivés, un auteur peut voir l'éditeur renoncer à la publication. Rares sont les éditeurs qui veulent à tout prix publier le premier roman d'un auteur. Et il est tout aussi rare de voir le premier roman d'un auteur devenir un best-seller (Ah, Harry Potter, quand tu nous tiens!).

Je suis donc d'avis qu'il faut y aller à l'instinct, ne pas avoir une trop grande estime de soi-même et de son œuvre, surtout quand on commence. Et il faut savoir ce qu'on veut. Plus ça fait longtemps qu'on publie, mieux on s'établit en tant qu'auteur. Et mieux on est établi, plus on est connu. Ça s'appelle gravir les échelons. Ce n'est pas les deux pieds sur la première marche que J.K. Rowling a pu exiger ses grosses redevances. Elle a dû faire ses preuves. Je parie que si on compare le contrat de son premier roman avec le contrat de son dernier roman, on va trouver des différences significatives (ici, significatives est un euphémisme).  

mardi 9 avril 2013

L'image romantique de l'écrivain: mythe et réalité


Comme avril est le mois des impôts, je me dis que c'est un bon mois pour conclure notre série d'articles sur l'écrivain et l'argent. L'écrivain et l'argent, donc, quatrième partie.

Je me souviens de l'image que j'avais du métier d'écrivain quand j'étais adolescente. Dans mes rêves les plus fous, je me voyais assise devant une table couverte de feuilles lignées pleines de gribouillis, dans un bureau dont les bibliothèques étaient remplies de livres poussiéreux, dans une maison silencieuse au fin fond d'une campagne tout aussi silencieuse, mais surtout déserte parce que personne ne devait jamais me déranger. Je me voyais penchée sur une machine à écrire (les ordinateurs étaient rares dans ce temps-là), le regard vide parce que la tête ailleurs, dans quelque château médiéval de ma création où la technologie avait dépassé celle de notre temps. En digne fille de Star Wars, c'est mon personnage, une fille, qui tuait le robot-dragon.
Dans cette vision romantique du métier d'écrivain, l'argent n'existait pas. Ou, s'il existait, il y en avait juste assez dans mon compte en banque pour maintenir ce rythme de vie campagnard et solitaire.

Le destin s'est chargé de me conduire à bien des endroits avant de me ramener à mon rêve d'adolescente. Et ce rêve, quand je l'ai enfin atteint, s'est avéré plus excitant, mais aussi moins romantique que prévu. Qu'on le veuille ou non, l'argent existe et dirige nos vies en exerçant ses contraintes. Et même si j'ai pris le parti de ne jamais en être esclave, je subis les mêmes contraintes que tout le monde.

Au printemps 2012, je donnais une entrevue à Châtelaine. (L'article est ici) La journaliste, Marie-Claude Fortin, voulait dresser un portrait des écrivains à succès au Québec. Je devais être une des dernières personnes qu'elle interviewait parce que sa première question est sortie tout de go : « Considérez-vous que vous opérez une PME? »  J'ai éclaté de rire. Moi, businesswoman? Voyons donc! Je suis juste une écrivaine. Puis l'évidence m'a sauté aux yeux. Ben, oui! J'en étais rendue là!

Businessman. Businesswoman. Voilà bien des mots auxquels nous, les artistes, ne voulons pas être associés. Et je ne connais pas un écrivain à succès qui savait, en commençant à écrire, qu'il deviendrait un jour percepteur de taxes pour le gouvernement, qu'il aurait besoin des services d'un comptable pour venir à bout de ses déclarations d'impôts, qu'il pourrait déduire desdits impôts un pourcentage des frais reliés à l'entretien de sa maison, de son automobile, et de ses achats de matériel de bureau. Il n'imaginait pas non plus qu'il lui faudrait tenir un registre précis des redevances pour chacun de ses titres publiés en fonction de clauses de contrat, qu'il apprendrait la négociation, qu'il inscrirait ses numéros de TPS et de TVQ pour la moindre prestation en public, qu'il collectionnerait les reçus comme d'autres ont jadis collectionné les papillons, qu'il devrait préparer des remboursements pour des taxes consciencieusement perçues et préparer des acomptes provisionnels (pour les impôts anticipés l'année suivante).

La réalité n'est pas aussi romantique que mon rêve d'antan parce que, entre autres choses, aux yeux du fisc, l'écrivain qui a le statut de travailleur autonome est considéré comme une business. Et si ce même écrivain déclare des revenus de plus de 30 000 $ par année, il doit percevoir la TPS et la TVQ auprès de ses éditeurs (et autres «cllients») et remettre ces taxes à la consommation au gouvernement. Vous avez bien lu. Pour le gouvernement (au fédéral comme au provincial), l'écrivain à succès est une entreprise. Et à moins d'être aussi doué avec les chiffres qu'avec les lettres, cet écrivain a besoin d'un comptable à qui il doit fournir le Guide de l'impôt préparé par l'Uneq et mis à jour chaque année. Et à moins d'être doué en négociation, de posséder une mémoire d'éléphant, d'être doté d'une capacité d'analyse et de synthèse exceptionnelle et d'un détachement à toute épreuve, il peut trouver pratique d'avoir un agent pour s'occuper de ses contrats.

La première fois que j'ai signé un chèque adressé au Ministère du Revenu du Québec, j'ai fait rire ma comptable. Elle m'a dit qu'elle n'avait jamais vu quelqu'un adresser un gros chèque au gouvernement avec autant de satisfaction. De tous ses clients, j'étais la seule auteure. Cela expliquait sans doute pourquoi elle ne voyait rien d'extraordinaire dans ce que moi je considérais comme un exploit. J'aurais peut-être dû lui montrer les statistiques sur les revenus des écrivains (v. études 2003 et 2008). Aurait-elle compris la fierté que je mettais à signer ce chèque si je lui avais dit qu'à peine 10 % des écrivains québécois tiraient plus de 20 000 $ de leurs revenus de création et que de ce nombre, seulement 2 % dépassent 60 000 $?

Le hasard a fait que les gens aiment ce que j'écris. (V. billet ultérieur sur le rôle de la chance dans la carrière d'un écrivain). Le hasard a fait aussi que ces gens achètent mes livres en grand nombre. Malgré les contraintes fiscales et organisationnelles liées au statut de l'artiste, je considère que je fais partie des Québécois privilégiés qu'on paie pour mettre sur papier les histoires qui peuplent leurs rêves. Nous sommes une quarantaine. Une quarantaine instable, où se retranchent et s'ajoutent chaque année de nouveaux noms. Et malgré aussi les incertitudes inhérentes à ma situation de travailleuse autonome gestionnaire d'une PME, je considère que je pratique le plus beau métier du monde, même s'il n'est pas aussi romantique que l'image que je m'en étais faite autrefois.

Moi, femme d'affaires? Qui l'eut cru?