mercredi 30 octobre 2013

Une tempête dans un verre d'eau!

On a l'air fou. Pendant 24 heures, on s'est excité le poil des jambes avec cet article du Devoir intitulé La «trahison» de deux auteures à succès.

Puis, ce matin (le 30 octobre), La Presse publie aussi son texte sur la grosse tempête.

Si je comprends bien, Marie Laberge continue de publier en format papier chez son éditeur habituel, Québec Amérique.

Si je comprends bien, elle n'a jamais cédé ses droits numériques à son éditeur. (Quel auteur ne rêve pas d'avoir son pouvoir de négociation?)

Si je comprends bien, elle va vendre elle-même uniquement ses livres en format numérique. Ses livres format papier continueront de se vendre en librairie et on pourra continuer de les emprunter dans les bibliothèques. Seuls ses livres en format numérique ne pourront être empruntés dans les bibliothèques parce que la loi sur le livre exige que les bibliothèques achètent leurs livres dans des librairies agréées. C'est plate pour les bibliothèques, mais il s'agit d'une conséquence imprévue de la loi servant à protéger les librairies. (!!!)

Si je comprends bien, son p'tit dernier, Mauvaise foi, vient de sortir en format papier chez Québec Amérique et est disponible en librairie aussi bien que chez Costco. Et il ne sera pas disponible tout de suite en format numérique, de sorte que son éditeur et les libraires et les grandes surfaces vont écrémer le marché du livre papier et vendre aux bibliothèques.

Partout où son livre se vend en format papier, Marie Laberge doit faire environ 14% de redevances (autour de 3.78$ par livre vendu). En publiant elle-même ses livres en format numérique, elle ne commet pas de geste illégal et ne tourne le dos à personne. Elle va exploiter un nouveau format d'une nouvelle manière. C'est une auteure, mais pour vivre de sa plume au Québec, il faut aussi être un peu femme d'affaires sinon on se fait manger la laine sur le dos.

Que l'auteur qui ne rêve pas de faire plus de 14% après 25 ans de métier lui lance la première pierre!

p.s. C'est vrai que la loi sur le livre n'a pas prévu le livre numérique. Mais à ce jour, les intervenants du milieu du livre s'entendaient pour respecter l'esprit de la loi. C'est à dire que les bibliothèques continuaient à s'approvisionner en livres numériques dans une librairie agréée, comme avec les livres papier. Légalement parlant, ils ne sont pas obligés. 

lundi 28 octobre 2013

L'accès au livre en dehors des grands centres

Le meilleur remède contre l'ignorance
J'habite un quartier populaire. Le prix moyen des maisons tourne autour 130 000 $, mais juste depuis cinq ou six ans. Avant ça, c'est bien moins cher. Le salaire annuel des ménages doit avoisiner la moitié du prix des maisons.

Dans mon quartier, il y a deux Tim Hortons, un McDo (le plus grand au Canada, il paraît), un Burger King, un PFK. On a aussi plusieurs brasseries et des bars de quartier où les clients arrivent ben de bonne heure. On compte une pharmacie à tous les coins de rue, un peu moins d'épiceries, mais pas de Maxi-et-Compagnie. Ni de Costco. Mais on a un Walmart, un comptoir familial et ben des friperies.

On n'a pas de librairie. Pas même de librairie d'occasion, sauf le Club Rotary. Oh, on en avait bien une autre dans le temps! Mais il faut en vendre des livres à 2 ou 3$ pour payer un loyer, même dans un quartier comme le mien! Quand la vente par Internet est devenue populaire, la p'tite librairie, au coin de la 8e , a fermé ses portes. À la place, on vend du linge de travailleurs, maintenant. Et des bottes à caps d'acier.

Dans mon quartier, les enfants jouent dans le parc. Ils n'ont pas de iPatentes. Les plus jeunes se poussent à qui mieux mieux dans les balançoires. Les plus vieux se défient entre deux paniers de basket. L'hiver, tout le monde va patiner en arrière de l'école Laporte. Ou bien jouer au hockey.

Dans mon quartier, on a des trottoirs dans toutes les rues parce que bien des gens sont à pied. On a des lumières pour piétons qui fonctionnent à la demande. Et on a ben des autobus.

On appelle les quartiers comme le mien des milieux défavorisés.

Ici, quand l'envie nous prend d'acheter un livre, on ne pense pas trente secondes à descendre au centre-ville à la librairie Pauline. On sait bien quel genre de livres on va trouver là. On se dit qu'on pourrait à la limite prendre un autobus pour traverser la ville et se rendre chez GGC. On en profiterait pour acheter un peu de papeterie parce que ça non plus, on n'en a pas dans notre quartier. Faut se contenter de ce qu'on trouve en pharmacie.

Vous imaginez qu'avec des conditions comme celles-là, on ne lit pas beaucoup dans mon quartier. C'est qu'en partant, mes voisins ne sont pas de grands lecteurs. Ils passent au travers du Journal de Montréal ou de La Tribune en mangeant au comptoir à la pizzeria Demers. À la limite, ils feuillettent des revues chez la coiffeuse. Mais quand ils montent au centre d'achat des Quatre-Saisons, sur la 13e Avenue, il leur arrive de s'acheter un livre chez Walmart. Des fois, c'est le guide de l'auto. D'autres fois, un livre de recettes. Pis si le dernier Marie Laberge est là, je les ai déjà vus le mettre dans le panier avec le sac de plastique qui contient des bobettes pliées en quatre. Ils aiment bien Janette Bertand aussi. Pis Francine Ruel. Pis Pauline Gill et Sonia Marmen pis les autres aussi, qui écrivent des histoires qui les font rêver et qu'ils comprennent à la première lecture. Parce que leur ado leur a déjà parlé de Patrick Senécal, ça leur arrive de ramasser un de ses romans quand il y en a. Et s'ils mettent la main sur un Bryan Pero ou un India Desjardins, ils sont tout contents. Parce qu'ils aiment bien voir lire leurs enfants. Chose certaine, mes voisins qui lisent font toujours bien attention à ne pas dépasser leur budget. C'est un livre à la fois qu'ils achètent, parfois deux, les jours fastes. Mais jamais plus.

Il y a aussi mes autres voisins, ceux qui ne lisent pas. Ceux-là, ils n'achètent pas de livre évidemment. Mais c'est pas par goût. C'est souvent juste parce qu'ils ne savent pas ou qu'ils auraient trop de misère pour comprendre ce qu'ils liraient s'ils lisaient. Paraît qu'ils forment 49% de la population. On appelle les meilleurs d'entre eux des analphabètes fonctionnels. Avec un système d'éducation comme le nôtre, ils ne devraient même pas exister. Ils existent pourtant bel et bien. Et je les croise tous les jours dans la rue.

Ma parenté, elle, vit un peu plus haut. Mes oncles, mes tantes, mes cousins et cousines ont presque tous une auto. Alors plusieurs d'entre eux vont chez Costco faire leur épicerie. Ils ont les mêmes goûts que mes voisins qui lisent, mais ils connaissent plus d'auteurs et ont un peu plus de moyens. Ils passent beaucoup de temps dans les deux rangées de livres, entre les vêtements pour hommes et le matériel saisonnier. Acheter des livres, pour eux, ça se fait avec les autres commissions. Sauf dans le temps des fêtes où là, ils font une virée spéciale chez GGC ou au Renaud-Bray du Carrefour ou au Archambault. Pour faire des cadeaux. Mais en dehors des fêtes, les membres de ma famille achètent des livres en même temps que les autres petites choses dont on a besoin au quotidien.

Dans ma famille, on aime bien Québec Loisirs aussi et on se met tranquillement au livre électronique. S'acheter le dernier roman de Michel David en trente secondes sur Internet, c'est comme plonger la main dans une boîte de chocolats. Et même si on achète aussi le dernier Katherine Pancol, le dernier Diana Gabaldon, le dernier Marc Lévy ou le dernier Guillaume Musso, on est bien fiers de dire qu'on lit majoritairement du québécois. Parce que c'est vrai. Et parce qu'on sait qu'en achetant les livres d'Anne Robillard, de Suzanne Aubry, de Micheline Lachance et de tous ces autres qu'on rencontre au Salon du livre, on fait vivre les écrivains de chez nous.

Le problème avec l'idée du livre à prix unique, c'est que ce sont aux gens comme mes voisins et comme les membres de ma famille à qui on demanderait de payer plus cher pour leurs livres. Et pourquoi? Pour que poignée de clients des librairies, séduits par les prix de Costco, n'hésitent plus à acheter leurs livres dans ladite librairie quand ils sont sur place.   

C'est vrai qu'ils existent, ces gens qui fréquentent les librairies et qui, trouvant les livres trop chers et sachant qu'ils ont aussi des courses à faire chez Costco, vont reporter l'achat du livre qu'ils auraient peut-être achetés si le livre avait été partout au même prix ou à peu près. Mais il s'agit d'une fraction de tous les gens qui achètent en grandes surfaces! Une fraction minuscule. Et il est bien difficile d'imaginer qu'un changement d'habitude chez cette fraction minuscule pourrait sauver les librairies indépendantes. Qu'est-ce qu'on fait des autres? De ceux qui ne vont jamais dans les librairies? De ceux qui n'en ont pas près de chez eux? Tant pis! Ils paieront tous plus cher. Et achèteront moins, faute de budget. 

Une chose est certaine dans tout ça: sous la loi du livre à prix unique, si les grandes surfaces comme Costco et Walmart continuent de vendre des livres, elles feront davantage de profit sur chaque livre vendu. Un profit supplémentaire qui sera fait sur le dos de mes voisins, de ma parenté et de tous ceux qui leur ressemblent. Et pour chaque livre auquel ces clients renonceront à cause du prix, il y aura des écrivains et des éditeurs qui y perdront.

Il me semble qu'il doit bien y avoir un meilleur moyen de sauver nos librairies. Un VRAI moyen. Pas une chimère.


p.s. Pour ceux qui se posent la question, sachez que la grande majorité des écrivains dont les livres sont vendus dans les grandes surfaces reçoivent les mêmes redevances (i.e. le même montant d'argent) que pour leurs livres vendus en librairie. Ceux qui reçoivent moins se font avoir par leur éditeur. La Sorcière vous explique pourquoi dans un prochain billet.


«Il n'y a pas besoin de brûler des livres pour détruire une culture. Juste de faire en sorte que les gens arrêtent de les lire.» Fahrenheit 451


mardi 22 octobre 2013

Littéraire ou populaire, épiphanie au Salon du livre de l'Estrie

Avertissement: Je sais que ce billet est un peu long, mais j'ai voulu faire le tour de la question. Alors, indulge me, comme on dit en anglais, et suivez-moi jusqu'à la fin, s'il vous plaît.

La semaine dernière, une journaliste de Radio-Canada m'a demandé comment j'expliquais le mépris que les écrivains dits littéraires affichent vis-à-vis les écrivains grand public comme moi. Je ne m'attendais pas à cette question alors je lui ai cité Katherine Pancol qui disait que c'était le rêve de tout écrivain que d'être lu et que seule la jalousie pouvait justifier autant de mépris de la part des premiers vis-à-vis les deuxièmes.

Puis, en fin de semaine avait lieu le Salon du livre de l'Estrie. Nous étions 260 auteurs en dédicace. Ça faisait du monde à la messe, comme on disait quand j'étais jeune. Une des tables rondes de samedi portait le titre : Les livres ont-ils tous la même valeur? Il était facile de prévoir la dérape. Je ne participais pas à cette table ronde, mais j'en ai eu des échos. On y avait d'abord manifesté l'animosité habituelle des écrivains grand public envers les universitaires. Heureusement, quelqu'un a eu la bonne idée de modifier l'orientation de la table ronde en demandant s'il y avait un public pour tous les genres de romans. Cette initiative a sauvé la mise et le reste de la table ronde s'est déroulé dans le respect dû à un événement de salon du livre.

Enfin, dimanche s'est produit un autre événement qui m'a fait réfléchir. Il s'agissait au départ d'une conversation entre trois écrivains de l'Estrie, dont moi-même. J'étais en train de nier la rumeur voulant que ce soit Hugues Corriveau qui m'aurait dit à quel point il détestait mon dernier roman (Pour comprendre de quoi il s'agit, prière de lire le billet : Ce qu'il faut d'humilité )

Une auteure de l'extérieur s'est approchée.

— Quoi? a-t-elle demandé. Hugues Corriveau a fait une mauvaise critique de ton dernier livre?

J'ai sorti ma réponse aussi vite que Lucky Luke ses révolvers.

— Voyons donc! Hugues Corriveau ne toucherait pas à mes romans même avec une perche de dix pieds!

Ces mots m'ont surpris moi-même. Et plus tard, ce soir-là, je me suis demandé pourquoi j'avais été aussi prompte à penser que Hugues Corriveau méprisait ce que j'écris. C'est peut-être le cas, je ne le sais pas. Nous nous sommes parlé une seule fois depuis que je vis en Estrie, au 5 à 7 de l'Association des auteures et auteurs de l'Estrie, il y a un mois. Ce soir-là, il m'a avoué ne jamais avoir lu ce que j'écrivais. Je me dis qu'on ne peut mépriser ce qu'on ne connaît pas. À moins qu'on méprise par préjugé. Et là, je n'ai aucune preuve de préjugé. Juste d'indifférence. Et c'est ben correct de même.

Si je vous parle de ça aujourd'hui, c'est qu'après avoir lancé ma phrase assassine, j'ai connu une espèce d'épiphanie. Je me suis demandé pourquoi il existait autant de hargne entre les écrivains dits littéraires (souvent universitaires) et les écrivains grand public. Pour y voir clair, j'ai couché sur papier mes observations de ces dernières années.

Tout d'abord, il faut savoir que même s'il existe depuis longtemps des écrivains au Québec, l'écrivain grand public, lui, est relativement nouveau. Yves Thériault fut peut-être un des premiers. Arlette Cousture, Francine Ouellette et Yves Beauchemin ont suivi. Marie Laberge est venue tout de suite après. Et à partir du début des années 2000, c'est toute une brochette d'écrivains de genre qui sont apparus.

La plume des écrivains grand public rejoint un vaste public qui, il y a vingt ans, lisait des traductions de l'américain ou des importations de France. La plume des écrivains littéraires rejoint surtout leurs pairs en plus d'une certaine élite intellectuelle. Les gens lisent l'un OU l'autre. Certains lisent les deux, mais ils sont rares.

 L'écrivain dit littéraire est un universitaire (la plupart du temps) qui excelle à manier la plume. Son style est travaillé, ses phrases, ciselées. Elles sont en elles-mêmes de petits bijoux. Les livres dits littéraires suivent le courant actuel, une école ou une filiation littéraire avec un professeur.

L'écrivain grand public est un conteur né qui possède une imagination débridée. Il n'a pas nécessairement d'études en lettres ou en création littéraire, mais il est capable de produire une brique de 600 pages par année, des fois plus. Ses histoires fascinent, mais on ne lui reconnaît pas un style élégant, ce qui ne veut pas dire qu'il ne travaille pas son texte. C'est juste que la langue, chez lui, est un outil et non une fin en soi. C'est vrai qu'il est facile à lire, mais comme on dit en anglais, Easy reading is hard writing. Et pour écrire un page turner, il faut travailler fort.

Là s'arrêtent les différences, parce que pour le reste, ces deux types d'écrivains sont pareils. Ils ont un ou plusieurs éditeurs avec lesquels ils s'arrachent parfois les cheveux. Quand ils publient un livre, ils espèrent qu'on va mentionner la chose dans le journal… au moins une fois. Ils s'enflent la tête pendant un temps, convaincus que ce qu'ils font est important, puis redescendent sur Terre au bout de quelques années en réalisant qu'ils n'ont pas inventé l'eau tiède. Ils rêvent en secret du jour où on adaptera leur livre à l'écran et prie pour aimer le résultat. Mais surtout, ils veulent qu'on les aime et que quelqu'un, quelque part, reconnaisse leur talent.

Depuis mon arrivée en Estrie, je milite pour une reconnaissance de l'écrivain grand public. Je milite pour que dans les jurys des différents prix, on n'ait pas que des universitaires. Parce que les universitaires valorisent rarement autre chose que ce qu'on leur a appris à l'école, c'est-à-dire l'écriture dite littéraire. Ils font fi de l'imagination, du souffle, du talent, parfois brut, mais toujours naturel, de ceux qui rejoignent les masses. Trop souvent, la plume moins travaillée, voire parfois malhabile, des écrivains grand public les lasse. Je les comprends. Mais choisir uniquement des universitaires-littéraires comme membres d'un jury signifie qu'on ne valorise qu'un seul type de roman : celui qu'on enseigne à écrire à l'université.   

L'adage qui consiste à dire que si ça se vend, c'est nécessairement mauvais m'horripile. Les gens ne sont pas des imbéciles. Ils recherchent quelque chose dans un livre. Une voix qui les touche, des personnages qui résonnent en eux comme un appel mystique. Nier la valeur des livres qui les rejoignent, c'est comme nier que certains dessins ou tableaux nous touchent plus que d'autres. Il suffit de voir les œuvres des gens comme Sybiline ou Denis Jacques pour réaliser que si on peut tous apprendre à dessiner, certains artistes le font avec une spontanéité et un réalisme si naturel qu'il en est déroutant. Le même phénomène existe en littérature. Il ne s'explique pas, et on ne doit pas en diminuer la valeur à cause de ce qu'en pense telle ou telle école littéraire. Surtout que ces écoles ne s'entendent pas entre elles.

 Je me souviens du jour où une écrivaine littéraire de ma connaissance est tombée sous le charme de Millenium. Toute penaude, mais quand même émue, elle m'a avoué: « C'est pas drôle! Même moi, j'aime ça!» Ça veut tout dire.

Jean Pettigrew, de chez Alire, a trouvé une comparaison très juste pour illustrer les deux groupes d'écrivains qu'on met (ou qui se mettent) trop souvent en opposition. Il compare le style à un marteau. Certains auteurs ont un marteau tout bossé, avec un manche usé. Avec ce marteau, cependant, ils sont capables de bâtir des cathédrales. D'autres écrivains ont un marteau digne d'une œuvre d'art, avec des incrustations de pierres précieuses et de l'or plaqué sur le manche. Un tel marteau, on le ménage et il est bien rare qu'on s'attaque avec lui à une construction d'une grande ampleur. On l'utilise pour des ouvrages délicats, aussi délicats que le marteau lui-même. Le meilleur compromis, selon Pettigrew, c'est d'avoir un marteau pas trop mal et de ne pas avoir peur de s'en servir pour ériger de grands bâtiments.

Le reste n'est que question d'ego. De part et d'autre. Et j'en ai ras le bol de l'ego qui nous empoisonne la vie. Celui des uns comme celui des autres comme le mien. Notre littérature est plus vivante qu'elle ne l'a jamais été. Les Québécois lisent plus de livres québécois que jamais dans l'histoire de notre nation. Il suffit d'aller dans les librairies pour constater les présentoirs qu'on nous réserve (et qui n'existait pas il y a 20 ans). Il suffit de se promener dans un salon du livre pour voir à quel point les visiteurs achètent québécois. Ces ventes sont bonnes pour tout le monde. Un éditeur qui garde un écrivain grand public populaire dans son écurie a les moyens de publier davantage d'auteurs littéraires dont les livres, à petit tirage, ne font pas leurs frais. Tout le monde y gagne.

Alors, s'il vous plaît, enterrons cette hache de guerre née de la jalousie, de l'orgueil, du mépris et de l'ignorance et célébrons la vitalité de notre littérature en toute amitié.

p.s. J'ai confondu deux des tables rondes du SLE. Dans la première version de ce billet, j'ai mentionné celle qui s'appelait Est-ce que tout ce qui s'écrit est bon à lire? En fait, je voulais parler de celle-ci: Les livres ont-ils tous la même valeur? Avouez que ça se ressemble. Je viens de faire la correction dans texte. 

jeudi 17 octobre 2013

La Directive première de Star Trek

J'avais des scrupules en écrivant ce billet cette semaine parce que je n'y parle pas d'écriture. J'y parle du Monde dans lequel on vit. Puis je me suis dit que si la littérature est une tentative pour traduire notre vision du Monde, parler du Monde lui-même, au fond, revient à parler de la source de l'écriture. Alors voici la question que je me pose ces jours-ci au sujet de la source.

Je l'ai déjà dit sur cette page, je crois, je suis une fille de Star Wars. Ce que je n'ai pas dit encore, cependant, c'est que je suis également une fille de Star Trek. Mais n'importe quel Star Trek. Je suis une descendante en ligne directe de Deep Space 9, avec ses tensions politiques dignes de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ses problèmes raciaux, ses maquisards sortis tout droit du sud de la France et l'interférence du religieux dans le politique. Ces questions, donc, me taraudent depuis ma jeune vingtaine parce que j'ai vécu avec le capitaine Sisko les dilemmes éthiques imposés par la Directrive première, que tous les fans connaissent sous le nom de Prime Directive.

Les explications qui suivent viennent de Wikipédia. 

La Directive première (Prime Directive) de Star Trek stipule que la Fédération des planètes unies n'est pas censée intervenir dans le développement des autres espèces de l'Univers tant que celles-ci ne sont pas parvenues par leurs propres moyens à voyager plus vite que la lumière. Et même alors, la Fédération n'interviendra qu'à la demande expresse des peuples concernés. (Remplacez Fédération par Occident et changez voyager plus vite que la lumière par égalité homme-femme et vous verrez tout de suite qu'on ne parle plus de science-fiction.)

La Directive première est une « directive » dans le sens où elle indique une « direction » générale, mais son application doit se faire au cas par cas. Ainsi, de nombreux épisodes de la série tournent autour des problèmes d'application de la Directive première ou des conséquences de son non-respect (comme la contamination culturelle, par exemple). Ainsi, faut-il empêcher une catastrophe naturelle d'anéantir une espèce entière? Faut-il fournir à un peuple le vaccin qui le sauverait alors qu'une autre espèce émergente vit sur la même planète? Et comment réagir lorsque la Fédération est impliquée malgré elle? Doit-elle rester neutre, prendre parti ou tenter de maintenir l'équilibre des forces?

En inventant une telle directive, le créateur de Star Trek, Gene Roddenberry, plongeait directement dans le cœur du problème humain. Il abordait ainsi le fameux dilemme qui existe entre ce qu'on juge bon pour une personne et ce que la personne juge bon pour elle-même. C'est aussi le dilemme des parents qui veulent ce qu'il y a de mieux pour leurs enfants, qui désirent pour eux la meilleure carrière et qui oublie de prendre en compte les désirs des enfants sous prétexte que ceux-ci ne savent pas encore ce qui est bon pour eux.

 Pourquoi je vous parle de ça? Parce que, comme le capitaine Sisko, j'en arrache en ce moment avec les différentes prises de position dans le dossier de la charte québécoise de la laïcité. Est-ce que l'État agit d'une manière juste et équitable ou bien intervient-il là où ça ne le regarde pas? Certains jours, j'ai l'impression que notre passé conflictuel avec la religion catholique teinte d'amertume les décisions politiques que nous prenons aujourd'hui. Comme dans le tollé qui a suivi l'histoire de l'interdiction du turban aux jeunes sikhs par la Fédération de soccer du Québec. Qu'est-ce qui était le plus dangereux? Le turban ou les longs cheveux qui descendent jusqu'aux fesses? On ne s'est pas posé longtemps la question. C'est religieux, on n'en veut pas. Point!!! Rendus là, exigeons donc de tous les enfants qu'ils se coupent les cheveux s'ils veulent jouer au soccer! (Je suis cynique, ici, j'espère que vous l'avez compris.)

Ne nous y trompons pas! On peut se fendre en quatre pour essayer de sortir le religieux de la sphère publique, mais on ne peut pas sortir le spirituel de l'être humain. Si c'était le cas, les pays communistes seraient venus à bout de la religion. Or, n'est-ce pas justement la Russie qui vient de passer une loi anti-gay avec l'aide des prêtres orthodoxes? Si soixante-quatre ans de communisme n'a pas tué Dieu en URSS, qui sommes-nous pour penser en venir à bout?

Comprenez-moi bien, je suis pour l'égalité homme-femme (ÉVIDEMMENT! Je suis féministe jusqu'au bout des ongles!). Mais je suis aussi pour la liberté de culte parce qu'il s'agit d'une valeur importante en démocratie. Dans le monde imaginé par Gene Roddenberry, le major Kira Nerys porte, en plus de l'uniforme de la Fédération, un D'ja pagh, sorte de boucle d'oreille, signe ostentatoire s'il y en a un. Elle le porte comme de tout temps les sikhs ont porté le turban à la GRC. C'est chic, c'est propre, c'est modeste. Et si l'uniforme met l'accent sur ce qui l'unit au groupe, son D'ja pagh montre ce en quoi elle croit. Point à la ligne. Nous sommes tous des êtres humains et nous sommes tous égaux. Nous n'avons pas besoin, par-dessus le marché, d'être tous pareils!

Or, si je refuse que l'État m'impose une façon de penser et une manière de me vêtir, donc si je ne veux pas vivre dans un monde qui ressemblerait à celui de 1984 de George Orwell, je ne veux pas non plus laisser à elles-mêmes des femmes qu'on opprime chez nous. Le fait qu'on les opprime ailleurs m'horripile tout autant, n'ayez crainte, sauf que je suis comme Sisko qui ronge son frein en réalisant son peu d'influence au-delà de la station Deep-Space 9. La Directive première, toujours la Directive première. Il s'agit, dans notre Univers, de respecter la démocratie. Et l'histoire nous a montré, avec les guerres en Irak et en Afghanistan, qu'on ne peut pas imposer la démocratie, pas même par les armes.


Tout ça pour dire que je ne comprends pas comment on peut être 100% d'un bord ou 100% de l'autre dans cette histoire de charte québécoise de la laïcité. Parce que moi, certains matins, je vois des arguments pour. D'autres matins, des arguments contre. Et je me dis que si on ne peut pas forcer des femmes à assumer des responsabilités qui les dépassent, on ne peut pas non plus les laisser à leur sort si elles sont soumises contre leur gré à un patriarcat archaïque sur notre sol.

Il me semble donc que si ce qui nous fait grimper sur nos grands chevaux, ce sont les signes qui traduisent la soumission de la femme à l'homme, c'est sur ce point et ce point uniquement qu'on devrait légiférer. Et il faudra faire très attention, en légiférant, de ne pas imposer aux autres notre laïcité (voire notre allergie au religieux et notre athéisme d'état) comme autrefois on nous a imposé la religion catholique. Sans quoi, nous ne ferons pas du Québec un monde meilleur, nous en ferons une dictature de la majorité. Et comme chacun le sait, s'il avait fallu s'en tenir l'opinion de la majorité, jamais les femmes n'auraient eu le droit de voter.



mardi 8 octobre 2013

Pourquoi laisser reposer son roman

(Ce billet est une sorte d'approfondissement du sujet que j'ai abordé en février dans le billet Parler du travail de l'écrivain oul'art de prêcher dans le désert.

J'ai terminé le premier jet de mon nouveau roman à la fin de juillet. Je l'ai mis de côté pendant un mois, le temps d'écrire le scénario de Yukonnaise. Je l'ai repris au début d'août, l'ai relu et l'ai réécrit puis je l'ai donné à lire à mon chum pendant le mois que je passais au Yukon. Je suis revenue il y a deux semaines et j'achève une dernière relecture/réécriture. Cette semaine, une lectrice m'a demandé sur Facebook : « C'est votre 14e. Vous devez bien savoir comment ça s'écrit, un roman! Pourquoi passer votre temps à le réécrire? Il sera publié plus vite si vous l'envoyiez tout de suite à votre éditeur. » (J'ai corrigé ses fautes d'orthographe. J'espère qu'elle me pardonnera d'avoir touché à son texte sans sa permission.)

 Bon. J'ai d'abord été flattée de voir avec quel enthousiasme elle attendait mon prochain livre. (Quel auteur ne le serait pas?) Mais au-delà de l'empressement, j'ai surtout lu dans son message une méconnaissance profonde du métier d'écrivain.

L'écriture, c'est d'abord de la réécriture. Ils sont bien rares les écrivains dont le premier jet est publiable. D'ailleurs, je n'en connais pas. Il paraît que c'est le cas d'Amélie Nothomb, mais je ne la crois pas. (J'ai le droit!) Pourquoi? Tout simplement parce que l'écrivain est un être humain. Un être humain fiable (parfois!), mais pas infaillible. Lorsque nous écrivons ce qui naît dans notre tête, nous traduisons en mots des idées, des images, des paroles, des pensées. Nous ne sommes que le canal. Et un canal humain est capable d'erreurs humaines.

Il y a toutes sortes de choses qu'on n'a pas envie de voir dans un livre publié. Des digressions, des longueurs inutiles, des bouts qui nécessitent un développement, des répétitions du même mot, des redites d'idée, des incohérences, des problèmes de structure (parce qu'on aura beau travailler comme des acharnés, jamais un roman complet ne sortira de notre cerveau en une heure). Entre le moment où on commence une histoire et le moment où on la finit, il peut s'être écoulé des mois, voire des années. Plusieurs années, même, si on s'attaque à une série. (Parlez-en à G. R. R. Martin, l'auteur de A Game of Thrones.) Comment voulez-vous qu'on retienne tout ce qu'on a écrit? Oh, on finit bien par s'en souvenir, à un moment donné, à force de retravailler le texte trois, cinq, dix fois. Et quand on termine la dernière révision des corrections d'épreuves, on le connaît par cœur notre %/$%?&*?& de texte et on ne veut plus le voir tellement il nous donne la nausée. Mais entre les deux, les relectures ont été nombreuses, parfois rigolotes, parfois pénibles, parfois humiliantes (Surveillez bientôt le billet intitulé : Réviser les révisions du réviseur. Je vous promets des détails croustillants.).

Mais surtout, il y a une EXCELLENTE raison pour ne pas envoyer son manuscrit tout de suite à son éditeur. La MEILLEURE raison de toutes! C'est que l'éditeur a la fâcheuse habitude de mettre la charrue devant les bœufs. Souvent, s'il a trouvé le roman à  son goût, il l'envoie tout de suite en direction littéraire, voire en révision (Ce qui est encore pire!!!). Et là, on va hachurer votre texte. On va déplacer des paragraphes, remplacer des mots, effacer des phrases. Et je vous épargne l'horreur des pages entières supprimées. Bref, si votre roman n'est pas à point, quelqu'un d'autre va se charger de le rendre a point, de le mettre de niveau à tout le moins. Bien sûr, on vous dira souvent qu'il s'agit de suggestions. Mon œil! Quand un directeur littéraire a travaillé pendant des semaines sur votre texte et qu'il vous l'envoie, il ne veut pas le voir revenir dans sa version initiale. Sauf que 90% du travail qu'il aura fait sur votre roman, vous auriez été capable de le faire vous-même, avec un peu de recul. Et au lieu que votre roman prenne en partie la personnalité de votre directeur littéraire (ou de votre réviseur), ce serait réellement VOTRE roman, avec VOTRE vision du monde et VOTRE vocabulaire et VOTRE style, qui serait passé ensuite en révision (ou en correction) et où on aurait nécessairement trouvé pas mal moins de choses à redire.

Je suis peut-être orgueilleuse, mais quand on publie un livre avec mon nom sur la couverture, j'ai besoin d'être convaincue que c'est bien de mon œuvre qu'il s'agit. J'ai trop vu d'écrivains furieux de ne plus reconnaître le roman qu'ils avaient écrit parce que celui ou celle qui était passé dessus au stylo rouge (ou pire, dans le mode Révision de Word!) s'était avéré un écrivain frustré qui n'avait qu'une envie: transformer un texte pour le mettre à sa main. Ne vous méprenez pas. Il y a de très bons directeurs littéraires. J'en connais. Et j'en connais des moins bons. Mais il y en a d'autres à qui je ne laisserais jamais un pouce de jeu. Et malheureusement, on ne reconnaît pas ces derniers tant qu'on n'a pas eu à travailler avec.


Alors, comme on dit par chez nous, je ne prends pas de chance et je ne soumets que des textes à point. Comme ça, quand ils me reviennent, si je dois m'arracher les cheveux, ce sera avec raison, et non parce que j'ai auparavant bâclé mon travail.