mardi 14 octobre 2014

La lectrice de Twilight

·         C'est l'hygiéniste dentaire qui vous trouve une carie lors d'un détartrage et vous sauve une dent.
·         C'est la préposée aux bénéficiaires qui vous lave les fesses après une opération.
·         C'est l'infirmière qui vous soutient pendant que vous vomissez vos tripes après une anesthésie générale et qui vous masse ensuite la bedaine pour refaire fonctionner vos intestins parce que tant que ça ne marche pas, dans ce coin-là, vous ne pourrez pas quitter l'hôpital.
·         C'est la concierge qui ramasse sans chialer le vomi à vos pieds parce que vous n'avez pas réussi à vous rendre aux toilettes à temps. (Des fois, c'est autre chose qu'elle ramasse et elle le fait également sans chialer parce qu'elle sait que vous êtes malade et que vous ne l'avez pas fait exprès.)
·         C'est la technicienne de laboratoire qui analyse votre biopsie pour savoir si cette nouvelle bosse que vous avez dans le cou cancéreuse ou non.
·         C'est votre voisine, celle qui va appeler la police si des gens entrent par effraction dans votre domicile pendant votre absence.
·         C'est votre cousine, celle qui vous serrera dans ses bras aux funérailles de votre mère.
·         C'est la comptable qui vous fait économiser de l'impôt.
·         C'est votre femme de ménage, celle qui lave votre toilette, vide vos poubelles, frotte votre évier et votre baignoire pour que vous viviez dans un monde propre, propre, propre. 
·         C'est l'éducatrice spécialisée qui s'occupe de votre petit dernier, celui qui a un grave problème d'apprentissage.
·         C'est la femme qui sert le repas à votre mère au foyer pour personnes âgées où vous l'avez installée.  C'est aussi l'autre, celle qui lui change sa couche.
·         C'est l'étudiante en génie civil qui dessinera le futur pont Champlain.
·         C'est la prof du secondaire qui, contente de sa lecture et consciente que le roman est un véritable page turner, le prête à une élève qui déteste lire. (Oui, oui, j'ai déjà fait ce genre de choses avec un roman de Reynald Cantin, interdit à l'école où j'enseignais parce qu'il y avait une scène de viol dedans. Et de la drogue aussi.)
·         C'est l'ado qui déteste lire qui lit le roman au complet. (Parce que pour développer des compétences en lecture, faut lire. Quand la jeune est rendue à 16 ans et qu'elle n'a toujours pas lu un livre au complet, il faut lui donner à lire un roman qui va la toucher, d'une manière ou d'une autre.)
·         C'est aussi l'ado qui lit à reculons et en chialant que c'est jamais bon et qui, cette fois, a lu toute la série et cherche autre chose à se mettre sous la dent. (Parce que pour donner le goût de la lecture à quelqu'un qui ne l'a pas, il faut y aller avec ses goûts, pas avec les nôtres.)

On peut juger un livre sur la qualité de l'écriture et/ou sur le message qu'il véhicule et/ ou sur la présence d'un contenu. Ça dépend de nos goûts, de nos valeurs et de l'opinion qu'on a de nous même, de nos goûts et de nos valeurs. (v. billet précédent)

Mais on ne peut pas juger la personne qui lit ledit livre. Ça la regarde. Elle, et elle seule! Comme la personne avec qui elle couche. Comme ce qu'elle mange pour dîner. Comme le sport qu'elle fait ou pas. Et comme la religion qu'elle pratique ou pas.

Un ado, c'est aussi une personne, et la job du prof de secondaire, ce n'est pas de lui donner une culture classique. Sa job, c'est d'amener chaque jeune à lire et à comprendre ce qu'il lit et, si le prof est doué et chanceux, à lui faire aimer la lecture. Seul le prof peut juger de ce qu'il faut à sa classe.  Le prof d'une école privée ou d'une école favorisée peut aller bien plus loin que le prof d'une école en milieu défavorisé. Et encore là! Chaque classe est différente parce que chaque élève est différent.

Le temps de la mise à l'index est révolu.

P.-S.: J'ai lu Twilight  pendant mon premier hiver au Yukon. La serveuse du seul restaurant ouvert achevait sa lecture et m'a prêté son livre. Ben j'avais hâte de me coucher le soir pour lire parce que Stephenie Meyer sait raconter.  Je vais vous dire, le seul bout où j'ai pogné les nerfs, c'est quand Bella arrive chez son père et que là, le bonhomme s'écrase devant la TV pendant qu'elle va à l'épicerie, fait le souper, fait la vaisselle et le ménage. Pour sa relation avec un vampire, j'ai probablement dû lire pire (ou fait pire, c'est selon) alors je n'ai pas trouvé ça ben ben scandalisant. Mais c'est vrai que j'ai juste lu le premier tome. Peut-être que ça s'aggrave par la suite. Je ne le saurai jamais. Parce que si j'ai assez aimé l'histoire pour finir le tome 1, je ne l'ai pas assez aimée pour lire le tome2.

P.-P.-S.: La lectrice de Twilight, ça peut aussi être la lectrice de 50 nuances de Grey. Sauf que la prof, qui a du jugement, n'en doutez pas, ne prêterait pas ce livre à ses ados à cause de son contenu adulte (quoi que pas assez "adulte" à mon goût à moi. ;-) )

P.-P.-P.-S.: L'auteure que je suis s'incline bien bas devant l'auteure qui a réussi à susciter autant de passion (blogue 1 et blogue 2)  chez ses lectrices. Qu'on aime ou non, Stephenie Meyer a su toucher quelque chose qui nous reste inaccessible à nous, auteurs ordinaires. N'en déplaise à certains.

vendredi 10 octobre 2014

Le mépris des masses




Il existe des chroniqueurs et des écrivains qui ont le don de me faire grimper dans les rideaux. Il y a quelques semaines, c'était le cas de Mathieu Bock-Côté, avec cette chronique du Journal de Montréal. Pour convaincre les gens qu'ils devraient lire, il citait les grands et les plus grands pour montrer comment, lui, il avait lu et lisait encore et toujours et tout le temps. Et mon doux qu'il en avait, du temps pour lire! Se donner en exemple, dans ce cas-là, ma foi, c'était probablement la pire chose à faire pour inciter à lire quelqu'un qui ne lit pas. Quelques jours plus tard, c'était Catherine Mavrikakis, avec ce texte publié sur le site Cousins de personne. Elle y dénonçait, entre autres choses, le fait que les jeunes d'aujourd'hui ne lisent plus de classique.

Pourquoi je grimpe dans les rideaux? Parce que ces lettrés (et bien d'autres!) sont déconnectés de la réalité, qu'ils vivent dans une tour d'ivoire et pensent pouvoir servir des leçons au « pauv' p'tit peup' qui lit pas ou qui lit pas la bonne affaire ». Ils me font le même effet que ces libraires français qui ont refusé de vendre le livre de l'ex-copine du président français. 

Je l'ai déjà dit sur ce blogue, je viens d'un milieu où les gens lisaient peu. Je ne parle pas de chez nous, non! Ma mère, qui faisait figure d'exception dans sa famille, nous a mis des livres dans les mains bien avant de nous donner une brosse à dents. Mais dans l'ensemble, j'ai grandi dans un environnement où les livres étaient vus comme quelque chose d'élitiste.

Ma mère possédait un secondaire 2. Mon père, un secondaire 1. Mon beau-père est allé au cégep quand j'avais déjà 10 ans. Avant, ils avaient tous travaillé à la même usine. Au Québec, dans années 1960, la majorité des jeunes sortaient de l'école tôt pour aller travailler à l'usine. C'était de même. Seuls les riches — et les plus motivés — suivaient leur cours classique. Pour les autres, c'était le marché du travail. Par la suite, au mieux, on lisait le journal. Au pire, on ne lisait plus. Et on survivait très bien.

Je suis née après et j'ai fait mon secondaire à l'école publique au début des années 1980. J'y ai lu Alexandre Dumas et un peu de Nelligan. Ça s'arrêtait pas mal là.

Au cégep, on m'a fait lire des romans du terroir, des histoires que j'ai trouvées tellement plates que ça m'a écoeurée de la littérature québécoise pendant des années. Je préférais de loin les traductions américaines et les romans historiques venus de France. D'ailleurs, autour de moi, ceux qui lisaient lisaient la même chose que moi.  

Quand Noël Audet a publié son Écrire de la fiction au Québec, il a déclaré avec que la littérature québécoise ne rejoignait pas le public québécois. Mon doux que le milieu littéraire québécois était fâché d'entendre un des grands dire une chose pareille! N'empêche qu'il avait raison. Comme j'en ai déjà parlé sur ce blogue, en 1992 et avant, au Québec, on publiait surtout de la littérature « littéraire » pour un public constitué essentiellement de littéraires (ou autres membres de l'élite).

Les rares auteurs québécois qui rejoignaient les gens ordinaires, c'étaient les Arlette Cousture, Francine Ouellette, Yves Beauchemin et Noël Audet de ce monde. Ceux-là, en fait, que la télé nous avait fait connaître avec une série tirée d'un de leurs romans. Même Québec Loisirs boudait les auteurs d'ici (à part ceux que je viens de nommer pour la raison que je viens de donner).

Mais voilà qu'en 1997, le Ministère de l'Éducation a effectué une réforme en profondeur du programme de français. À partir de ce moment-là, les élèves du secondaire devaient lire quatre romans par année. On peut qualifier la décennie qui suivit d'âge d'or de la littérature jeunesse au Québec.

Aujourd'hui, un jeune de 17 ans aura lu une vingtaine de romans le jour de sa graduation. Attention, il ne s'agit pas ici de grands classiques. On parle de romans qui, si on est chanceux, lui auront donné le goût de lire et de continuer à lire. Si on est chanceux. Si le prof est conscient de la fragilité de ce qu'il a entre les mains. Et s'il est conscient que lire, pour la majorité des gens, demande un effort. Pour certains encore plus que pour d'autres.

Chose certaine, les élèves finissent aujourd'hui leur secondaire avec de meilleures aptitudes en lecture et une culture littéraire plus approfondie que les jeunes qui ont gradué avec moi en 1985.
La littératie québécoise se porte-t-elle mieux aujourd'hui qu'autrefois? Absolument. Peut-on faire mieux? Absolument aussi.

Je suis en train de devenir allergique à ces lettrés qui nous répètent ad nauseam comment c'était mieux, dans le temps. C'était quand, ce temps-là? Quand les femmes mettaient au monde des familles de dix ou douze enfants pis que seul celui qui allait devenir curé recevait une instruction sur le sens du monde?

J'adore Bryan Perro et Anne Robillard. Et je pense qu'on devrait les remercier collectivement d'avoir fait lire nos jeunes pour le plaisir. Ces deux auteurs ont prouvé aux ados de la fin des années 90 et des années 2000 que c'était possible de trouver un livre intéressant écrit dans la langue de chez nous (ce qui fait qu'on n'avait pas besoin d'un dictionnaire toutes les trois lignes.)

Pour ceux qui ne le savent pas, je vous annonce que devoir chercher dans le dictionnaire décourage les lecteurs les plus faibles. On aime ça, nous, les auteurs, montrer qu'on a du vocabulaire. On ne réalise pas à quel point on écoeure le lecteur. On se dit « Il n'a qu'à se forcer! ». On n'imagine pas un instant qu'il peut aussi bien refermer le livre et passer à autre chose. Ce qu'il fait souvent d'ailleurs sans même une hésitation.

Si la marche est haute, la mettre encore plus haute ne servira jamais de motivateur. Au contraire! C'est assez pour convaincre bien des gens de dépenser leur argent autrement et de faire autre chose de leur temps libre.

Note à ceux qui écrivent (quel que soit le médium): Rappelez-vous toujours que mépriser le peuple qui ne lit pas ne le fera pas lire. Au mieux, il vous ignorera et vous parlerez dans le vide. Au pire, il vous méprisera et, là, vos propos auront l'effet contraire.  

P.-S.: Au début de ma dernière année d'enseignement, j'avais commencé à donner en dictée un texte de Robert Soulières. Il s'agissait d'une nouvelle de six pages sous forme de lettres que le personnage principal, en fugue, écrivait à sa famille. Il y dressait la liste de ses doléances. Au lendemain de ma deuxième dictée, le directeur m'a convoquée dans son bureau. Un parent s'était plaint du genre de texte que je donnais en dictée à mes élèves (Je vous rappelle que c'était de Robert Soulières!!!). On m'a interdit de lire la suite en classe. J'ai eu beau expliquer quel le personnage, qu'on croyait adolescent, était en fait un vieillard tanné de vivre chez sa fille, ça n'a rien changé. L'école où j'enseignais avait pour devise Le parent a toujours raison, qu'il soit doté ou non de jugement

Douze ans plus tard, c'est encore comme ça à ben des places. Ce texte de Foglia est passé sous mon radar parce qu'il est paru pendant que j'étais au Yukon en mars dernier. Une maudite chance pour lui parce que je lui aurais dédié tout un billet! Si je viens juste de le lire, c'est que ce texte de Foglia a forcé le programme La culture à l'école à réévaluer la pertinence des livres qui font partie du programme. Le livre dénoncé? Un roman de chez Alire qu'on a imposé en lecture obligatoire en 4e secondaire. ALIRE!!! En QUATRIÈME SECONDAIRE. Faut être tata en maudit pour douter de la qualité d'un roman de chez Alire. Et faut avoir la tête dans le sable pour penser qu'un jeune de 16 ans n'a pas vu pire (dans les télé-séries américaines, par exemple). 

Lettrés vertueux amateurs de censure, vous n'aidez pas la cause de la lecture, loin de là!

Ajout: Comme si j'avais pas déjà de quoi m'indigner, v'là une autre lettrée qui en rajoute une couche avec ce texte sur le site de L'actualité. Extrait: «... aucun chemin ne mène de Twilight à Baudelaire… S’il existait un tel raccourci, le pauvre poète se retournerait dans sa tombe !» Que d'arrogance, quand même!